Des morceaux d'histoire !

J'écris parfois.

Noë Charlier a publié le
5 min, 970 mots

Categories: Réflexions

Aujourd'hui, j'ai failli rater mon train. Alors, j'ai écrit ça :


Fuir, c'est une course sans fin, un renoncement au présent pour s'enfermer dans l'illusion du mouvement. Mais courir, c'est aussi autre chose : c'est tenter, oser, attraper l'impossible, même si tout semble perdu d'avance.

Il était là, dans ce train qui filait vers la grande capitale, chargé de deux sacs et d’une valise encombrante. L’annonce du retard l’avait déjà ébranlé : dix minutes, puis vingt. Il voyait peu à peu l’espoir s’effriter. La correspondance qu'il devait prendre était dans une heure à une autre gare. Une correspondance déjà fragile, rendue presque irréalisable par les aléas du voyage. Il compta mentalement. Le train avait vingt minutes de retard. Une fois arrivé, il lui resterait vingt-trois minutes. Juste assez de temps pour traverser la capitale en métro, mais sans une seconde de marge. Chaque pas compterait. Chaque escalier, chaque seconde d’attente sur le quai, chaque porte qui se fermerait trop tôt serait un obstacle insurmontable. Et il savait qu'il partait avec un handicap : il était assis à l’extrémité opposée de la rame, la plus éloignée de l’accès au métro. Il imaginait déjà la scène : la ruée hors du train, le sprint entre les voyageurs distraits, les escaliers bondés, la foule dans les couloirs interminables du métro. Une première rame manquée serait fatale. Il devait prendre le tout premier métro disponible et courir encore. Une mission impossible. Debout dans le train, les mains crispées sur sa valise, il pesait ses options. Ne rien faire, ne pas courir. Rester raisonnable. Laisser filer ce train qu'il ne pourrait attraper et attendre patiemment le prochain, dans deux heures. Mais c'était abandonner avant d’avoir essayé. Et pourtant, courir signifiait s’épuiser pour peut-être rien. Tenter l’impossible et échouer. Il se redressa un peu plus. L’idée de tenter, malgré tout, s’imposait à lui. Les portes du train s’ouvrirent enfin. Il se fraya un passage parmi la foule des voyageurs qui montaient avec hâte, cherchant à entrer dans ce train déjà en retard. Lui, toujours indécis, avançait à un rythme étrange : ni une course frénétique, ni une marche tranquille. Son pas trahissait son hésitation, oscillant entre l’urgence et la résignation. Arrivé au quai du métro, il vit la rame s’éloigner dans un souffle métallique. Trop tard. Il devait attendre le prochain. L’idée d’arriver à temps pour son train devenait de plus en plus improbable. Résigné, il commença à envisager une promenade dans les rues animées près des quais de la Seine, un moyen de tuer le temps avant le départ du train suivant dans deux heures. Le métro arriva rapidement, et avec ses deux valises encombrantes, il s’y engouffra. Dix stations le séparaient de sa destination. Installé debout près d’une porte, il observa les visages autour de lui, des gens affairés, des touristes perdus, des Parisiens blasés. Pendant un instant il espérait un miracle. Mais non. Tout calcul raisonnable lui dictait qu'il ne pouvait plus attraper son train. Une station avant la gare finale, une jeune fille, l’air pressé, s’adressa aux voyageurs. Elle demandait à plusieurs d’entre eux si cette gare était bien sa destination et semblait agitée. Intrigué, il lui demanda quel train prenait-t-elle. Oui, elle prenait le même train. À cet instant, il ressentit une étrange consolation. Il n’était pas seul dans cette situation. Il y avait quelqu'un d’autre, une inconnue, dans la même course contre la montre. Cette réflexion l’apaisa. «Nous ne sommes jamais vraiment seuls», se disait-il. Mais contrairement à lui, la jeune fille n’avait pas l’intention d’abandonner. Cela se lisait dans son regard déterminé et dans l’énergie avec laquelle elle se tenait prête à bondir dès que les portes s’ouvriraient. Elle refusait de céder au découragement. Alors, tout bascula. Une seule phrase échappée de ses lèvres, un seul regard plein de conviction suffirent à changer la donne. Quelque chose en lui s’éveilla. Il ne pouvait pas se contenter d’attendre. Pas maintenant. Pas alors qu'il y avait encore une chance, aussi infime soit-elle. La raison, si ferme quelques minutes auparavant, vacilla. Maintenant, il devait courir. Pour elle, pour lui, pour tenter l’impossible. Peu importe les valises, la foule, les escaliers. Peu importe l’épuisement ou l’échec. Il fallait essayer, coûte que coûte. Les portes du métro s’ouvrirent avec un claquement sec. La jeune fille bondit hors de la rame, se tournant à droite et à gauche, visiblement hésitante sur la direction à prendre. Puis, d’un coup, elle partit en courant, ses valises tapant légèrement contre ses jambes, et il la regarda un instant, stupéfait. Elle ne marchait pas vite. Non, elle courait. Cette seconde de surprise passée, il réalisa qu'il devait faire de même. Il se lança à sa suite, son propre bagage oscillant lourdement. Dans la précipitation, il dut éviter les passants, esquiver les obstacles. Une fois à l’extérieur de la station, ils furent confrontés à une bifurcation : fallait-il tourner à droite ou à gauche ? Lui, persuadé que c’était à droite, amorça un mouvement, mais elle aperçut au dernier moment une pancarte indiquant la direction des trains : c’était à gauche. Elle cria brièvement pour le prévenir, et ils changèrent brusquement de cap, accélérant leur allure. La course sembla durer une éternité, mais en réalité, ce ne furent que quelques minutes. Ils traversèrent le hall bondé, slalomèrent entre les voyageurs, escaladèrent des marches deux par deux. À bout de souffle, ils atteignirent enfin le quai. Là, devant eux, le train attendait, les portes grandes ouvertes, comme une promesse fragile. Ils montèrent à bord à dix-neuf heures six, et à peine eurent-ils le temps de s’installer que le train démarra. Il s’assit, le cœur battant encore à tout rompre, son souffle court. Elle s’installa en face de lui, un sourire à la fois épuisé et triomphant sur les lèvres. Ils avaient réussi. Contre toute attente, ils avaient attrapé ce train.